Connaissez-vous Navid Kermani - نوید کرمانی-?
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Cet écrivain germano-iranien aux multiples talents, orientaliste, poète, dramaturge, essayiste, journaliste, exégète, a obtenu hier le Prix de la paix des éditeurs et libraires allemands, un prix attribué depuis 1950 par l’Association des éditeurs et libraires allemands qui lui a donc été remis le 18 octobre 2015 à l’église Saint-Paul de Francfort-sur-le-Main, lors de la cérémonie de clôture de la Foire Internationale du Livre.
Depuis notre bastion franco-français, empreint de certitudes tant électorales que littéraires, peu de voix se sont fait l’écho de cette prestigieuse récompense ; il faut dire que notre hexagone se targue toujours d’être le centre du monde des idées, et que, noyés sous les multiples lettrés de notre intelligentsia, forts de nos penseurs maison, entre les innombrables Finkielkraut, Attali, Onfray, BHL, nous, le petit peuple de France, n’avons que peu d’occasions d’ouïr des voix différentes, rarement invitées chez les Ruquier et autres « GG »…
Pourtant, je vous assure que Navid Kermani vaut le détour ! Son profil atypique et polymorphe fait de lui l’un des penseurs essentiels de notre temps. Né en 1967 de parents iraniens, il a grandi en Rhénanie-Wesphalie. Son père, médecin en Iran, exerçait dans un hôpital chrétien, et la famille s’est ensuite installée dans la ville de Siegen, très influencée par le protestantisme. C’est par l’un de ses grands-pères que l’écrivain découvre l’Islam dans son versant chiite. Très tôt, dès l’âge de quinze ans, il a commencé à écrire pour le journal Westfälische Rundschau, avant d’écrire pour la FAZ et pour différents organes de presse. Après son diplôme d’études secondaires, il a étudié l’islamologie, la philosophie et la dramaturgie à Cologne, au Caire et à Bonn, a enseigné la poétologie dans les universités de Francfort, de Göttingen et de Mayence, la littérature allemande à Dartmouth, mais a aussi été reporter en Irak pour le Spiegel, avant de prononcer le 23 mai 2014 le discours inaugural à l’occasion de la soixante-cinquième commémoration de la Loi Fondamentale allemande, le Grundgesetz.
Sa thèse de doctorat « Gott ist schön. Das ästhetische Erleben des Koran » (« Dieu est beau. L’expérience esthétique du Coran ») a très vite attiré l'attention des médias et des milieux universitaires. Après avoir travaillé comme dramaturge pour le Théâtre de la Ruhr à Mühlheim et celui de Francfort tout en ayant collaboré au Berliner Wissenschaftskolleg, Kermani décida en 2003 de vivre de sa plume foisonnante.
Cet auteur très connu outre-Rhin traite dans ses multiples publications de thèmes aussi différents que la mort, la sexualité, la musique, l’engagement, mais toujours avec cette mise en abyme de la mystique et de l’Islam. La Süddeutsche Zeitung a dit de lui qu’il manie aussi bien la critique envers Goethe, Herder ou Kafka qu’envers la mystique islamique. Son regard acéré, aiguisé par la fréquentation des textes sacrés et par le maniement d’une langue riche et imagée, est ainsi le révélateur de nos sociétés agitées par des conflits millénaires, mais aussi sous-tendues par d’innombrables sagesses.
En plus de ses livres et de ses essais, Navid Kermani prend toujours position dans les débats publics et politiques avec ses discours, ses conférences et ses articles de journaux. Il intervient particulièrement pour l’évolution du projet européen, a pris position lors du Printemps Arabe et bien entendu contre le prétendu État Islamique et au sujet des Migrants… Son œuvre lui a déjà valu de nombreuses récompenses, comme le Prix Hannah Arendt en 2011 ou le Prix du Livre Allemand et le Prix Kleist, en 2011 et 2012… Il avait aussi obtenu en 2009 le Prix Culturel de la Hesse, décerné aussi au Cardinal Karl Lehmann, à l’ancien Président synodal Peter Steinacker et au Vice-Président du Consistoire Salomon Korn, un prix récompensant le dialogue interreligieux.
Car au cœur des préoccupations de Navid Kermani on retrouve l’idée de laïcité, bien peu maniée chez nos voisins allemands qui n’ont pas connu de séparation entre l’Église et l’État, une idée que l’écrivain défend en lui associant une profonde connaissance des religions, arguant que seule une tolérance et un dialogue interreligieux pourront devenir le terreau d’une diversité pacifique et respectueuse de l’Autre.
Dans le magnifique discours tenu hier soir lors de la remise de son prix, l’écrivain est aussi longuement revenu sur le sort des minorités chrétiennes d’Orient, évoquant avec une grande émotion la libération du père Jacques Mourad, récemment libéré en Syrie, et expliquant aussi que si un porteur de prix « de la paix » n’avait déontologiquement pas le droit d’appeler à la guerre, il en appelait néanmoins à la plus grande détermination possible afin que cesse un conflit désormais presque mondial, comme il l’avait d’ailleurs déjà prédit en 2014 en comparant la guerre en Syrie à la Première Guerre Mondiale.
Vous retrouverez ici le discours en partie retranscrit et à réécouter :
Et voici un extrait vidéo :
Navid Kermani est un penseur éclairé, qui ose affirmer qu’il y aura d’autres attentats, d’autres décapitations, que l’Europe n’est et ne sera pas épargnée, mais que l’espoir peut rester présent si une majorité clairvoyante s’engage à la fois pour la paix et la tolérance sans être dans le déni devant les exactions de l’EI.
Gibt es Hoffnung ? Ja, es gibt immer Hoffnung.
Reste-t-il un espoir ? Oui, il reste toujours un espoir.
À mon tout petit niveau, poétesse, blogueuse, essayiste, romancière, dramaturge…seulement primée dans des concours de nouvelles et de poésie, j’ai trouvé dans les écrits de Navid Kermani comme un bel écho à mes propres textes, en particulier à tous mes écrits autour de la laïcité…
Et je dédie à ce grand penseur que je voudrais voir traduit en français mon poème, retranscrit en persan par mon ami Hossein Mansouri, fils de la grande poétesse iranienne Forough Farrokhzad :
میگویم: در نازک هوای شفاف صبح گاهی
میگویم: به رنگین کمان شسته شده از رنگ
میگویم: به شادکامی از دست رفته
میگویم: در سکوت ستاره ای شبانگاهی
میگویم: حتا اگر کسی نخواهد گوش کند
میگویم: به غریبی که پشت میله های زندان زندگی میلرزد
میگویم: به فرزندانم، هر بامداد، با سلام روشن خورشید
میگویم: به دوستانم، دوستان دیروزیم، امروزیم، ابدیم
میگویم: به گلهای آفتاب گردان، به درختان صنوبر
میگویم: به قمری های غمگین، به تپشهای مضطرب قلبم
میگویم: بی آنکه از باد انتظار پژواکی داشته باشم
میگویم: همچون کلامی رمزآلود
میگویم: همچون سوغاتی از راه دور
میگویم: همچون رحمتی نابهنگام
میگویم: حتا اگر به من بخندند، مسخره ام کنند
میگویم: همچون بهاری که به مصاف زمستان جاوید زمین میرود
میگویم: همچون خورشیدی که میدرخشد
میگویم: همچون لذتی جان بخش
میگویم: چون این کلام الفبای زندگی من است، دلیل زنده ماندنم:
دوستت دارم.
Traduit par Hossein Mansouri
http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2014/01/18/ich-liebe-dich/
https://www.youtube.com/watch?v=9RfqZLWFEyg
https://de.wikipedia.org/wiki/Navid_Kermani#cite_note-32